— Préparer la venue d’un rescapé

Pour préparer un témoignage en classe, le rapport entre le témoin-rescapé (émetteur), les élèves (récepteurs) et l’enseignant (récepteur-médiateur) doit être réfléchi, élaboré, cadré pour permettre la réussite de la transmission, dans une perspective à la fois humaine (accueil attentif et constructif d’un rescapé d’un événement traumatique) et pédagogique (donner du sens aux échanges entre le témoin et les élèves).

Il est nécessaire de penser une préparation solide en amont de la rencontre qui laisse une place certaine au rescapé comme aux élèves. Comme le suggère avec justesse la psychanalyste Régine Waintrater, le témoignage de survivants des génocides s’inscrit dans un contrat moral scellé entre le témoin et celui qui recueille son témoignage. Comme un voyage partagé, le premier livre sa mémoire quand le second l’accompagne et le protège. L’enseignant se positionne ainsi : comme témoignaire, il est l’accompagnateur de confiance du témoin-rescapé vers les élèves. Il reste le facilitateur de la transmission. Les élèves, receveurs du récit de vie, deviennent dépositaires d’une parole. Elle les implique, d’autant qu’ils ont été actifs dans la préparation de la rencontre. Cette dernière, comme interaction humaine à haute émotion, nécessite alors la mise en œuvre d’étapes réfléchies et réalisées qui doivent assurer sa pleine réussite. Nous en présentons ci-dessous les grandes lignes pensées en trois temps distincts :

1-Définir les grands axes d’un projet pédagogique

Associée aux programmes scolaires, la venue d’un témoin-rescapé doit s’inscrire dans un projet pédagogique  programmé porté par un enseignant ou une équipe, pluridisciplinaire ou non. L’histoire, le français, l’enseignement moral et civique (EMC), les arts  et la philosophie peuvent par exemple être mobilisées. Le projet pédagogique s’articule idéalement autour de la rencontre avec le témoin-rescapé. A titre d’exemple, les problématiques suivantes peuvent être retenues :

  • Quels sont les mécanismes de la mise en place du génocide contre les Tutsi au Rwanda et de son exécution ? Quelles sont les caractéristiques et spécificités du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ? ;
  • Dire l’indicible : comment témoigner d’un génocide ? ;
  • Comment les mémoires individuelles et collectives nous construisent et construisent l’histoire ? ;
  • En quoi le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda s’est accompagné d’une volonté de justice intégrale à différentes échelles ? ;
  • En quoi les tribunaux gacaca témoignent d’une volonté de justice de proximité ? ;
  • En quoi un crime contre l’humanité constitue une infraction aux principes éthiques (égalité et liberté) qui fondent le vivre ensemble ? ;
  • Discuter avec un témoin-rescapé de son œuvre (livres, productions artistiques) : pourquoi, comment exprimer son expérience par les arts ?

Pour alimenter et illustrer ces problématiques, nous vous invitons à vous référer aux ressources utiles partagées sur cette plateforme qui peuvent être mobilisées lors de l’enseignement en classe.

  1. 2- Organiser une réunion de préparation

Cette réunion vous permettra de partager la première ébauche déjà charpentée du projet au témoin-rescapé.  Il s’agit, en amont du témoignage, de l’associer à l’élaboration de la feuille de route. C’est aussi l’occasion, pour chacun,  de déposer ses motivations, ses attentes, ses craintes et ses recommandations vis-à-vis du témoignage. Certaines réactions qui seraient potentiellement vives ou déconcertantes d’élèves peuvent également être explicitées au rescapé afin d’éviter une certaine forme d’incompréhension ou de rejet le jour de la rencontre. Enfin, cette réunion permet également une mise au point autour de l’organisation logistique du témoignage (lieu et durée du témoignage, disposition de la salle, utilisation d’un vidéoprojecteur). Pour animer ce temps de réunion, une trame narrative vous est proposée afin de structurer cet échange et organiser le témoignage dans de bonnes conditions : Conduire une réunion de préparation

3- Conduire un projet pédagogique 

Dans un premier temps, il convient de présenter le projet aux élèves : pourquoi un tel projet, quels liens avec les apprentissages attendus, quels objectifs ? L’acquisition d’un bagage historique sur le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda et la vérification de ces acquis apparait primordiale pour donner aux élèves des clés de compréhension au témoignage qui va leur être délivré.

Dans le prolongement de cet enseignement en classe, les enseignants inviteront les élèves à préparer des questions visant à faire le lien entre les connaissances historiques délivrées en cours et le témoignage en classe auxquelles s’ajouteront les questions dites « spontanées » qui leur viendront au fil du récit raconté par le rescapé. A titre exemple, vous trouverez sur ce lien une synthèse des questions fréquemment posées par les élèves lors des témoignages en classe. Ces questions pourront être transmises au témoin-rescapé avant la rencontre selon son souhait. Aussi, les questions doivent être idéalement être posées de façon chronologique (avant, pendant et après le génocide) pour faciliter le repérage dans le temps du témoin-rescapé.

En parallèle, les enseignants pourront mener avec les élèves une réflexion sur la notion de « témoin-rescapé ». Le témoin rescapé est placé au centre de la démarche pédagogique. Porteur d’une mémoire restituée au moment de la rencontre avec les élèves, il sera présenté comme un acteur de l’événement. Le témoin-rescapé n’est pas dépositaire de l’histoire mais d’une mémoire de l’événement (dont elle est une partie). Cet apprentissage met en lumière la question du traumatisme de la survie à travers une prise de parole qui n’est pas anodine dans la mesure où elle amène le témoin à reprendre le chemin de l’expérience traumatique. L’enseignant ou l’équipe enseignante peuvent expliciter ces points aux élèves : le témoin prend un risque, engage sa personne. En retour, la rencontre implique l’enseignant comme l’élève dans un acte de commémoration – avec l’idée de se souvenir ensemble.

Pour introduire la venue d’un rescapé en classe, l’enseignant peut être amené à présenter l’identité, le parcours général et la situation actuelle du rescapé. Dans le cas où il a produit des livres (récits, fictions) ou des œuvres artistiques, il est possible de les présenter, les situer dans leur contexte de production, de présenter leur réception et le statut que leur confère le témoin-rescapé. Dans cette perspective, il est envisageable de proposer un premier échange « brise-glace » entre les élèves et le rescapé à travers en court échange de mail ou de lettres, ce qui pourra potentiellement permettre au rescapé et aux élèves de se sentir plus à l’aise. Une fois encore, ce point pourra être évoqué au cours de la réunion de préparation qui doit nécessairement se tenir en amont du témoignage en classe. Echanger des messages entre élèves et témoin-rescapé disant l’attente impatiente de la rencontre, multipliant les gestes et mots de remerciement, de soutien, de reconnaissance et de considération peuvent permettre d’indiquer la valeur attendue de la rencontre tout en lui déniant la valeur d’un temps spectaculaire, mais bien comme une étape dans un processus plus large pensé sur le long terme.

Selon l’axe pédagogique et la production artistique retenue, les élèves pourront être amenés à prendre des notes lors de la rencontre, sur feuille libre ou dans le cadre d’une fiche thématique ou chronologique préparée par l’enseignant : les étapes de l’expérience du génocide, les souvenirs, les rappels historiques, la description des lieux, des protagonistes (victimes et bourreaux) mentionnés par le témoin.

Enfin, l’enseignant présente aux élèves l’étape de la production artistique. Il est important que les élèves aient en tête qu’ils vont devoir réaliser une production de leur choix après le témoignage en classe. Dans la perspective de cette production artistique, ils peuvent également être invités à une prise de notes sur un éventuel support en lien avec cette production qui peut également prendre la forme de dessins, croquis ou encore citations. Dans la mesure où cette prise de notes ne permet pas à certains élèves de vivre pleinement la rencontre ou peut possiblement déstabiliser le témoin-rescapé, elle n’est pas rendue obligatoire. C’est un point qu’il convient, une fois encore, d’évoquer lors de la réunion de préparation.